Que restera-t-il de l’affiliation et de l’engagement des collaborateurs à votre entreprise ?
Après plusieurs mois de télétravail contraint par les mesures sanitaires, les employés ont la possibilité de retourner sur leur lieu de travail. Tout le monde s’accorde sur le côté salutaire de ce retour. Les employés ont besoin de retrouver leurs collègues et la vie sociale de l’entreprise. D’aucun de parler de la machine à café, voire du déjeuner comme s’il suffisait de se retrouver autour de sujets personnels pour collaborer. Qui croit cela ? Pour motiver une équipe, il faut plus que cela. Tour d'horizon des obstacles:
- C’est le travail réel, qui offre l’occasion de s’améliorer.
- Un service aux clients de qualité
- Attention aux conflits et désengagements
- Que reste-t-il de l’affiliation ?
- Le télétravail, outil du collectif.
C’est le travail réel, qui offre l’occasion de s’améliorer.
Certes, la vie sociale est capitale mais les liens du travail en entreprise vont bien au-delà. La chose est établie depuis longtemps par des spécialistes de l’ergologie tels Alain Wisner ou Yves Schwartz qui ont montré l'importance de ce qu'ils appellent le travail réel. On ne peut pas faire fi de la distinction entre le travail prescrit, décrit dans les formations, les processus, les instructions, et le travail réel, qui s’opère et se transforme en permanence. Malgré tous les désirs et les volontés que la direction peut mettre dans l’élaboration et la maîtrise des processus depuis l’avènement du taylorisme, tant qu’il y aura des humains, c’est le travail réel et la capacité de l’entreprise à le boucler sur le travail prescrit qui offre l’occasion d’améliorer sa compétitivité.
Ce travail réel est à l’évidence différent lorsqu’il s’opère en présentiel ou à distance. Ainsi, lorsque nous sommes à notre poste de travail, nous profitons, d’une infinité d’interactions spontanées dans l’exercice de notre travail, pour une part même inconscientes. Lorsque nous sommes à distance nous remplaçons ces interactions par des hypothèses et des choix car il nous faut avancer. Le résultat n’est évidemment pas le même.
Deux aspects, parmi d’autres, nous paraissent critiques dans la mesure où ils affectent la performance de l’entreprise et celle de sa direction. Ces aspects ne sont pas nouveaux mais l’évolution du travail ne fait que l’accélérer.
Un service aux clients de qualité
Le télétravail n’est pas une découverte récente. Il existe depuis des décennies, peut-être plus connu sous le vocable travail à distance. Il est ainsi pratiqué depuis longtemps par de nombreux commerciaux délocalisés du siège de leur entreprise. Je l’ai moi-même expérimenté dans les années quatre-vingt-dix. Je dirigeais, aux États-Unis, une unité de business qui customisait et revendait des composants électroniques manufacturés en Belgique. Une de mes tâches principales était d’assurer la communication avec le siège Européen. Équipé d’un ordinateur pour mes e-mails et d’un téléphone, j’assurais ou, tentais d’assurer devrai-je dire, de donner dans les temps des réponses à nos clients américains.
Combien de fois, me suis-je senti impuissant de ne pas recevoir, de Belgique, cette réponse promise et tant attendue. Combien de fois ai-je dû réclamer l’intervention du directeur d’usine pour me faire entendre. Cette situation, tous les représentants à distance la connaissent. Comme client, n’avez-vous jamais entendu cette réponse d’un représentant commercial : « Je dois contacter le fournisseur ou l’usine et je vous rappelle » ? Cela laisse clairement entendre qu’il faudra quelques jours pour obtenir la réponse.
Pour ne pas tomber dans la guerre des prix, l’entreprise doit se différencier. Cette différence devient effective quand l’entreprise est capable de résoudre des questions complexes plus vite et moins cher que ses concurrentes. C’est donc dans les interactions continues et spontanées que se développe le leadership de l’entreprise sur son marché. Pour accélérer la résolution des problématiques complexes, chacun qui s’occupe de clients dans les entreprises sait le nombre de fois où il quitte son siège pour obtenir des réponses de l’un ou de l’autre parce qu’il n’a pas répondu à l’e-mail ou au téléphone, ou tout simplement parce que le problème sera mieux posé dans une interaction que par une personne seule.
Dans ces cas, comment croire que lorsque le nombre d’employés distants sera plus important, le service aux clients bénéficiera d’une augmentation de l’efficacité collective ? Ce point est essentiel car, dans les faits, la possibilité pour un employé de livrer un travail de qualité et apprécié du client est la plus grande des motivations.
Attention aux conflits et désengagements
Certes, tout le personnel d’une entreprise ne contribue pas à créer de la valeur directe ajoutée pour des clients identifiables. Ne pourrait-on au moins permettre à cette minorité dont le travail n’est pas directement lié aux clients de bénéficier du télétravail, s’il augmente la productivité personnelle. Ainsi les communications de marketing, les ressources humaines, l’administration, la gestion des systèmes qualité ou informatique, la stratégie et la prospective, le développement de produits logiciels peuvent très bien se réaliser à distance.
Si vous autorisez le télétravail à une partie du personnel, le risque de remplir l’emploi du temps des managers par de l’arbitrage et de la gestion de conflits est certain. Voir par exemple le récent de commentaire de Bruno Fou posté sur Linkedin Un traitement formel différencié des employés développe plus de silos et de tensions, tels qu’ils ont pu apparaître dans l’histoire comme entre les cols-bleus et les cols blancs, entre les commerciaux et les « gens de l’usine », entre les managers et les managés, entre ceux qui pointent et ceux qui ne pointent pas…
Créer au sein d’une même entreprise, une différence de traitement en ce qui concerne le télétravail n’échappera pas à cette observation répétée. Les employés ne vivront pas le même but ni les mêmes rythmes. Ceux qui sont au service des clients sont la source des revenus. Les autres leur paraîtront comme ayant une vie facile, les chouchous du patron.
Par ailleurs, loin du regard et de l’interaction quotidienne avec ceux qui travaillent en présentiel, la performance de ceux qui télétravaillent sera le résultat de la seule pression managériale. Gérer les conflits et surveiller la performance. Est-ce là la vie rêvée du manager ? Peut-être pour certains mais, les enquêtes comme celle du BCG montrent que ce n’est pas la voie du futur pour la réussite.
Que reste-t-il de l’affiliation ?
Enfin, on observe que les motivations pour le télétravail dans le chef des employés sont des raisons de convenance personnelle. (Voir aussi l’article « Et si à propos du télétravail on se trompait de dialogue ») L’argument le plus favorable qu’ils offrent à l’entreprise est l’augmentation de productivité. Celle-ci, de toute évidence, est aussi dépendante de la personnalité de chacun.
J’ai rencontré plusieurs cadres qui appréciaient fortement le télétravail. Tous appréciaient la liberté avec laquelle ils pouvaient se consacrer à leur projet personnel et le combiner avec leur vie familiale. Quant à l’entreprise et ses résultats, c’était secondaire. Le projet collectif n’avait pas beaucoup d’intérêt. Plusieurs ont d’ailleurs démissionné et sont prêts à le refaire chaque fois qu’un projet personnel les tente. Leur affiliation à l’entreprise est faible. Quand on connaît le coût de recrutement et d’intégration d’un nouveau collaborateur et les pertes potentielles liées au départ des leaders, il y a de quoi être préoccupé.
Il reste ceux qui ont des difficultés à s’organiser. Lorsqu’ils pratiquent en télétravail, cette désorganisation émerge lors des visioconférences. Ces employés sont vite catégorisés d’employés « moyens » par leur manager. Pourtant, ils possèdent probablement d’autres atouts : un esprit d’équipe, une très grande réactivité, une capacité à trouver des solutions spontanées à chaque problème… Mais ils ne sont pas les rois de l’organisation personnelle. Le télétravail est très discriminant sur ce point. Allez-vous leur expliquer dès lors qu’ils ne peuvent pas télétravailler, comme si le télétravail était une récompense ? Comment vivront-ils cette discrimination ?
Le télétravail, outil du collectif.
Ne nous y trompons pas. Le télétravail est incontournable. Il n’est pas possible de l’interdire. Comment le pourrait-on après des mois où l’on s’est efforcé de montrer que cela fonctionnait ?
Loin de cette position défensive, le télétravail est un outil qui peut être utilisé efficacement au service de l’entreprise.
La condition est que celui qui l’utilise soit animé par un objectif collectif qui le transcende. Il faut donc d’abord avoir un but commun partagé par chaque membre de l’organisation. Cela semble naturel, pourtant il suffit de faire quelques interviews dans l’entreprise pour se rendre compte que cette condition n’est pas remplie.
Ensuite il faut assurer que la structure permette à chaque collaborateur de vivre (c’est-à-dire de faire et d’être) au quotidien sa contribution à ce but commun et d’être fier du résultat collectif.
Ce faisant, les collaborateurs ressentiront l’importance de faire partie de l’équipe entreprise et l’usage qu’ils feront du télétravail se fera avec intelligence pour le bien de tous.
C’est ce que j’ai pu observer chez Mitra Power Systems où nous avions réuni les deux conditions menant à notre position de leader. Mes collaborateurs étaient libres de rester chez eux pour rédiger leurs offres, rapports, présentations ou autres plans d’attaque de marché. Pourtant, ils ne l’utilisaient que très peu. Au besoin de calme nécessaire à la concentration venait s’ajouter les besoins d’informations possiblement détenues par leurs collègues, de confrontations spontanées d’idées, d’échanges humains lors des nécessaires phases de relâchement de la concentration. Je pense que tout simplement, eux comme moi, ne voulions rater aucun évènement qui animait l’entreprise. Être là parce que cela fait sens d’y être.
Comments est propulsé par CComment